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Court Métrages

64 La Réconciliation    66 Stella    67 Galaxis    67/68 Jane erschießt John, weil er sie mit Ann betrügt

80 Hast Du Lust mit mir einen Kaffee zu trinken?      84 Zwei Bilder

Long Métrages
68 Detektive    69 Rote Sonne      70 Supergirl      72 Fremde Stadt      74 Made in Germany and USA
75 Tagebuch    77/78 Déscription d'une Ile    80 Berlin Chamissoplatz      82/83 La Main dans l'Ombre
86 Tarot    87 Les Formes de l'Amour    88 Le Philosophe    89 Sept Femmes    91 Le Coup de Foudre
92 Die Sonnengöttin      94 Le Secret      97 Just Married      97 Bébé Tigre attend Tarzan
99 Paradiso, sept Jours avec sept Femmes       00 Venus talking      02 Rouge et Bleu
03 La Femme conduit, l'Homme dort      05 Tu m'as dit que tu m'aimes      05 Signes de Fumée
06 Le Visible et L'Invisible      08 Pink    10 La Chambre rouge     11 Dans le bleu




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Critiques
Interviews




Libération, Didier Péron 16.02.2000
Les Inrockuptibles, Frédéric Bonnaud No 45
Cahiers du Cinéma, Erwan Higuinen, Novembre 2000
24 images ­ La revue québécoise du cinéma, André Roy, No 105
Le Monde, Thomas Sotinel, 22.11.2000
dans Libération, MARCUS ROTHE 22. 11. 2000
Le Figaro Brigitte Baudin, 22.11.2000
Télérama, Jacques Morice, 22.11.2000
L'Humanité, Vincent Ostria, 22.11. 2000
Les Inrockuptiples, Bertrand Loutte , 21. 11. 2000
Les Échos, Annie Coppermann, 22. 11. 2000
Repérages, Julien Walter, 1. 11. 2000


Injustement raillé à Berlin, l’Allemand livre un joyeux "Paradiso”
Hymne à l’hédonisme en un ThomeRohmer prussien

Didier Péron
Libération
16.02.2000
Avec Wenders passé aux Etats-Unis, l'Autrichien Michael Haneke produit par la France et Syberberg aux abonnés absents, Rudolf Thome est l'un de ceux qui a fait les frais de cette désaffection. Auteur persévérant de 18 films entre 1968 et aujourd'hui, il est pourtant peu estimé en Allemagne, comme l'a encore prouvé la projection, ponctuée de ricanements, de son Paradiso. En 1993, Thome a fondé sa propre boîte, Prometheus, et s'en tire grace à l'économie peu dispendieuse de ses films, à la manière d'un Rohmer prussien.
Paradiso est pourtant un beau film paisible. Thome raconte qu'après avoir vu le film de Theo Angelopoulos, l'Eternité et un jour (palme d'or 1998 à Cannes), qui l'avait horriblement ennuyé, il était irrité au point de vouloir lui répondre par un film «non pas sentimental, plein de messages profonds et de prétentions artistiques, mais léger, drôle, ironique et très simple». Le film raconte I'anniversaire champêtre d'un compositeur, Adam, entouré de sa femme, de ses enfants et de six anciennes maîtresses, dont l'une devenue nonne. La vulgarité don-juanesque de cette idée est immédiatement exorcisée par Billy, le plus vieux fils d'Adam, qui lui assène un coup de gourdin. On peut dire qu’on tient là le seul temps fort du film, qui ne s'intéresse ensuite qu’aux instants démeublés: scène de marche, repas, conversations amicales ou amoureuses... Le film évoque les écrivains de l’épiphanie quotidienne et languide, tel Peter Handke ou Eugène Savitskaya. On sortait du Angelopoulos avec l'impression d'avoir raté son suicide au Lexomil. Rudolf Thome nous refile quelques tuyaux pour un carpe diem encore vivable. Hédoniste allemand contre bonnet de nuit hellène, match retour: 1 - 0



Sous le ciel de Berlin

Frédéric Bonnaud
Les Inrockuptibles
No 45
Trop de films à voir, pas assez à retenir lors de ce 50e Festival de Berlin. Cependant, on a pu découvrir quelques bons cinéastes japonais, un Grec, un Indien, un Iranien, ainsi que les nouveaux et beaux films de Rudolf Thome, François Ozon et Johan van der Keuken.
Durant cette première semaine de grisaille, seuls Rudolf Thome (Paradiso - Sept jours avec sept femmes) et François Ozon (Gouttes d'eau sur pierres brûlantes) ont su relever le niveau d'une Compétition presque indigne d'un festival de "classe A”. Le premier en démontrant une fois de plus qu'il était un grand cinéaste du "presque rien", capable avec une rare élégance de transformer une trame minimaliste qui aurait pu n'être que complaisante en une merveille d'ironie languide; le second en cessant de hurler "Attention, transgression!” à chaque plan, en faisant un détour par une pièce de jeunesse de Fassbinder pour creuser ses propres obsessions, et prouver enfin qu’il est un grand directeur d'acteurs doublé d'un metteur en scène redoutablement efficace dans l'espace clos du studio. Thome et Ozon ont livré des films intelligents et retenus, drôles et mordan à mille lieues de la putasserie sentimentale et des effets clinquants où se vautrait la plupart des autres films de la Compétition. Là où Thome ne sait filmer que le bonheur et fait grincer sa sérénité contemplative jusqu'à la rendre tendrement suspecte, Ozon utilise le décalage entre le kitsch des décors et des costumes et l'immuable violence des rapports conjugaux pour ouvrir son film à'des bouffé d'euphorie qui rejoignent parfàitemeni la par de grotesque à I'œuvre chez Fassbinder. Les gentilles provocations antiféministes de Thome ont agacé le public berlinois alors qu'il a bien ri aux touches de germanité farceuse d'Ozon.
Frédéric Bonnaud, Les Inrockuptibles, No 45



Paradiso de Rudolf Thome
Les femmes d' Adam

Erwan Higuinen
Cahiers du Cinéma
Novembre 2000

Les premiers plans sont ceux d'une femme, qui s'active dans la maison, se déshabille en silence, rejoint son homme déjà couché. Cette trajectoire sera suivie par la quasi-totalité des personnages de Paradiso, dernière réalisation en date de Rudolf Thome, cinéaste allemand dont les distributeurs n'invitent que trop rarement les films à traverser le Rhin. L'homme du film s'apprête à fêter ses 60 ans - c'est aussi l'âge de Thome. Dans son domaine, où il vit avec épouse et enfants, il a convié les femmes les plus importantes de sa vie : deux ex-épouses et quatre maîtresses d'époques diverses, auxquelles se joindront son fils perdu de vue et son plus vieil ami. Comme la femme des premiers plans, tous viennent à lui. L'homme est égocentrique, Paradiso sera ego-centré. Non un portrait-bilan après six décennies sur terre mais une étude sur la réunion d'une famille encore à inventer.

L'homme s'appelle Adam, son épouse Eve, sa première femme Lilith, il a baptisé sa résidence « Paradis », on y croise un serpent... Les références bibliques abondent, entre autres signes. Mais ceux-ci ne tiennent pas du code à déchiffrer: tout cela est affiché trop nettement pour ne pas être largement ironique. Et le film, à la fois lisse et complexe, résiste aux explications univoques.

Les dialogues arrivent tard, bien après le monologue intérieur de l'homme-metteur en scène et les échanges d'e-mails entre personnages - avec réponse différée, donc. Dans Paradiso, la communication ne va pas de soi. Chacune des femmes invitées est définie par le lien qu'il y eut entre elle et Adam, et par une dénomination-étiquette (la chanteuse, l'étudiante... ). Pas de caractérisation simplificatrice, cependant: les femmes échappent à leur étiquette, se ressemblent parfois jusqu'à se confondre. Surtout, avec chacune, c'est une partie de la vie d'Adam qui resurgit. Ainsi, autant de blocs de temps qu'il y a de femmes se trouvent réunis, et comme réactivés - voir la danse de l'homme avec sa première épouse devenue nonne ­ comme autrefois. Ce sont des plaques autonomes, en mouvement, qui parfois se touchent, se frottent, ou qui se superposent jusqu'à se masquer mutuellement. Avant l'arrivée des invités, Thome intègre à son film l'éclipse d'août 1999. Plus tard, ce sont des éclipses de femmes qu'il montrera par moments, lesquelles sont aussi des éclipses de temps.

Pourtant, on recense peu de réelles tensions entre les femmes, une fois évacuées les craintes originelles, mais une suite de retrouvailles dédramatisées. Comme si ne comptait que le rapport de chacune avec l'homme, comme si elles vivaient malgré tout dans des périodes distinctes, rappelées pour la durée de cette partie de campagne (sept jours) aux moments vécus avec Adam. Il ne s'agit pas d'un voyage dans le temps mais du voyage de parcelles de temps naturellement séparées mais appelées à se réunir.

Si le film de famille se prête volontiers aux psychodrames, si la rencontre entre épouse et maîtresse (à entendre ici au pluriel) est la base de toute comédie boulevardière, rien de tel dans Paradiso. Thome invente une communauté où les baisers ne suscitent aucune jalousie puisqu'ils relèvent d'époques distinctes, qui peuvent miraculeusement cohabiter sans heurts. Une utopie, en somme. A l'amnésie qu'impliquerait la succession des relations - chacune se substituant à la précédente -, le cinéaste oppose une réconciliation générale, une pacification lucide. Car ce séjour dans un jardin d'Eden cette fois conçu par et pour l'homme n'a pas vocation à durer éternellement, à figer les vies en un statu quo à l'angélisme définitif. Rien n'interdit d'ailleurs d'imaginer que tout cela ne s'est produit que dans l'esprit de l'homme. Si ce film flottant au mystère paradoxal (car rien n'y est caché) est beau, c'est aussi parce qu'il est tourné vers l'avenir qu'engendrera la somme des passés. A la fin, Adam et Eve concevront un enfant. Tout sera redevenu possible.



TROP DE BONHEUR

André Roy
24 images ­ La revue québécoise du cinéma
No 105
Mépris'é dans son pays, ignoré par l'ensemble des critiques étrangers (il ne me souvient pas d'avoir lu quelque dossier sur lui dans Positif ou Les cahiers du cinéma), Rudolf Thome est un metteur en scène à part dans le milieu du cinéma. Possédant sa propre compagnie de production, Moana, et sa propre compagnie de distribution, Prometheus, il réalise ses films avec des budgets modestes, sans la télévision ni le système de coproduction. Avec ses dixhuit films, il se distingue, non seulement par un style clair et une lisibilité à toute épreuve, mais surtout - et paradoxalement, c'est ce qui semble hypothéquer le rayonnement de son nom et de son ouvre - par ses histoires de bonheur. Il a décidé un jour (je crois qu'on peut penser que ce moment déclencheur 'était Tarot, de 1985) que le bonheur serait l'unique sujet de ses films. Avec les femmes comme seules détentrices des clefs de ce bonheur. Il a ainsi fait une sorte de pari aussi métaphysique que formel, qu'il a toujours réussi depuis à relever, avec une étonnante aisance dans l'écriture du scénario, une vigueur dans la mise en scène et un brio - qui n'est pas un savoir-faire complaisant - dans l'exécution. Parler de bonheur est peut-être, avec ce cinéaste munichois, une idée neuve au cinéma, voire scandaleuse.

On a comparé Rudolf Thome à un Eric Rohmer prussien ou à un Pedro Almodovar germanique. Il n'y a pourtant pas chez lui ce jeu rohmérien (cruel) de la vérité et du mensonge dans l'amour, cette volonté de percer le secret derrière les apparences et qui complique à souhait une intrigue par la machination et les stratagèmes. Mais comme Rohmer, toutefois, Thome ne cache pas son système ni ne se cache derrière lui. Comme Almodovar également qui, dans un autre registre, n'hésite pas 'à exhiber ses références. Là s'arrête la parenté avec l'Espagnol. Avec ses histoires abracadabrantes et ses invraisemblances, le cinéaste madrilène paraît, à côté du réalisateur allemand, farfelu au cube. Car rien de plus simple, de plus normal, de plus discret que la vie chez Thome, tant la précision dans la description, la composition plastique, toute de grâce, et l'acuité du regard viennent recharger les possibilités de l'intrigue et ses enjeux et accentuer le ludisme et le hasard comme moyen de connaissance.

Le titre, Paradiso ­ sept jours avec sept femmes, dit déjà tout. Un homme, Adam Bergschmidt, compositeur à succès, vit dans un réel paradis terrestre: il habite une maison dans une région pittoresque de l'Allemagne, où il compose, cultive ses légumes, arrose ses fleurs, respire l'air frais du matin. Pour le jour de son soixantième anniversaire, il a demandé aux sept (un nombre à forte connotation cabalistique) femmes de sa vie (dont une devenue nonne) de venir demeurer durant sept jours dans son paradis. Dîners, promenades dans les bois, conversations et confidences amicales et amoureuses, musique viendront meubler le temps, ces plans d'où déborde le bonheur. Mais pour que ce bonheur prenne possession des plans, il faut une opposition, un versant négatif, qui sera concrétisé par le fils d'Adam, Billy, qui en veut a son père de l'avoir ignoré depuis trente ans. Dans le temps paisible, champêtre de ces sept jours, la présence du fils - et le coup de gourdin qu'il assène à son père, comme on assène une vérité - est le seul temps fort, quasi anachronique, de ce film dédié tout entier au luxe, au calme et à la volupté de vivre. Le mauvais caractère du fils, sa présence incongrue (les invités sont toutes des femmes) ne sèment pas le désordre; ils sont un adjuvant qui ne fait que renforcer l'idée de bonheur que le réalisateur dessine par fines touches, rééquilibrant le propos, gommant ainsi ce que cette idèe pourrait contenir de mièvre et de consensuel.

Le paradis est palpable, évident. Le bruit et la fureur du monde ne franchissent pas sa cloison dont, pourtant, la transparence laisse passer leur rumeur, leurs échos lointains. Le monde arrive par la présence du fils, mais, surtout, par le temps passé qui refait surface par les paroles (qui définissent et portent les personnages). La fugacité du temps, les regrets qu'il peut apporter avec lui dans les souvenirs évoques ne viennent jamais étouffer l'allégresse des retrouvailles, mais la renforcer dans une complicitè romanesque qui s'élaboré dans un rapport d'intimité, celui des femmes entre elles et celui de chaque femme avec Adam, ce don juan qui semble avoir exorcisé son désir d'accumulation en lui substituant une tranquillité morale et affective qui efface les drames et les remords par enchantement.

Ce parti pris pour le bonheur, la liberté d'en épuiser toutes les richesses narratives et filmiques, Rudolf Thome les maintient de film en film avec entêtement, assurance, justesse et ironie. Il fait entrer le cinéma dans l'humble et insolent paradis de la sérénité.



"Paradiso": un petit coin de paradis dans l´est de l´Allemagne

Thomas Sotinel
Le Monde
22.11.2000
Une utopie optimiste de fin de millénaire.

Mis à jour le mardi 21 novembre 2000
Film allemand de Rudolf Thome. Avec Hans Zischler, Cora Frost, Irm Hermann. (1 h 42.)
Pour ses soixante ans, un homme nommé Adam, retiré en un lieu édénique avec une compagne prénommée Eva, convoque six autres femmes qu´il invite à cohabiter pendant une semaine. On est à la fin du millénaire, le soleil est caché par la lune cette semaine-là, justement. A lire, comme ça, on pourrait craindre l´indigestion de symboles et de significations. A le voir, comme ça, le film de Rudolf Thome frappe pourtant par sa légèreté, sa grâce, son amabilité.
Les transpositions bibliques s´estompent au profit d´une utopie charmante qui imagine que les sexes peuvent conclure une trêve. Au centre de Paradiso se dresse Hanns Zischler. Le scénario lui donne pour occupation principale la composition de musique contemporaine. Son Eva surveille attentivement sa conversion à la monogamie. Zischler donne à son personnage la consistance d´un monolithe qui découvre les plaisirs de l´érosion. Sa position sociale et sexuelle l´a mené naturellement vers l´égocentrisme le plus éhonté. Mais l´énergie que met sa compagne à le maintenir à l´intérieur du genre humain a déjà produit ses effets lorsqu´on le découvre au saut du lit, au début du film.
Comme dans un western, les renforts arrivent, qui ont le visage des anciennes épouses et maîtresses. Elles l´ont toutes aimé, mais en mettant leurs informations en commun, elles sont aujourd´hui en mesure de dresser une liste exhaustive des faiblesses et défauts du patriarche. Ce qui, en d´autres mains, aurait pu se transformer en veillée funèbre sadique autour d´un vivant tourne à la célébration de la vie. Chaque conflit est désamorcé, par l´humour, par le respect accordé aux personnages.
Rudolf Thome, sexagénaire, pilier discret du cinéma d´auteur allemand, s´est permis quelques fantaisies historico-cinématographiques. Il fait intervenir deux autres hommes : Billy, le fils d´Adam, qui, trente ans plus tard, en veut encore à son père de l´avoir abandonné. Militant écologiste, on le voit envoyer un e-mail incendiaire à Joschka Fischer, ministre des affaires étrangères allemand, que le personnage décrit comme « son vrai père » ; l´acteur Marquard Bohm, qui jouait avec Zischler dans Au fil du temps, de Wenders, incarne un ami d´enfance devenu banquier.



De l'idendité aux contes de fées
Trois films allemands, de Schlöndorff, Thome et Helmer, sortent simultanément

MARCUS ROTHE
dans Libération
22. 11. 2000
Paradiso
de Rudolf Thome;1h52
Tuvalu
de Veit Helmer;1h32
Les Trois Vies de Rita Vogt
de Volker Schlöndorff; 1h51

Hanns Zischler joue un compositeur vieillissant dans «Paradiso», de Rudolf Thome.
Hasard heureux ou coïncidence catastrophique? Le cinéma allemand a déserté les écrans français mais cette semaine sortent les films de Schlöndorff, Thome et Helmer. Ils divergent dans leur esthétique mais leurs lignes de fuite se croisent. Toujours en rapport avec le passé ils mêlent mémoire personnelle et identité collective.
Entre deux. Avec les Trois Vies de Rita Vogt Schlöndorff retourne aux sources d'un cinéma engagé. La jeune idéaliste ouest-allemande Rita Vogt (Bibiana Beglau) glisse vers le terrorisme et finit par se réfugier en RDA où elle doit s'inventer une nouvelle identité. Dans son décor maussade peuplé de «héros du travail» abattus elle veut croire au rêve collectif. Pour Schlöndorff, l'utopie de la gauche de l'Ouest se heurte à la solidarité fatiguée de l'Est.
Bibiana Beglau joue un caméléon qui change de peau pour échapper à ses crimes. Elle finit son errance sur une route enneigée entre les deux Allemagnes, peu avant la réunification. Inadaptée, elle y laissera la peau.
Rudolf Thome prend l'identité collective par un autre bout, plus bucolique que politique. Dans Paradiso, un compositeur fête son 60e anniversaire avec les sept femmes qui ont compté dans sa vie. Rêve d'un Narcisse machiste? Thome se sert d'une situation de vaudeville pour mieux dérouler son minimalisme. Avec ironie, il présente Adam (Hanns Zischler) comme un alter ego ermite à la recherche de plaisirs tactiles: sentir les corps des femmes, la terre sous ses pieds, l'air du matin.
Thome, philosophe du «rien», reste à la surface les choses. Se balader, pique-niquer, regarder l'éclipse, planter des arbres: il retient la leçon de Hawks; il se méfie de la psychologie.
Charmant et léger, le film avance par ellipses. Le puzzle d'une vie sentimentale floue se recompose au présent: les femmes symbolisent des blocs de mémoire juxtaposés pourvoyeurs de fiction.
Nouveau tome. Dans ce temps suspendu Adam rêve de «réconcilier passé, présent et futur» dans sa musique. Cette volonté de fusion aimante le film vers son centre paradisiaque: poursuivre le bonheur en faisant la paix avec le passé, réconcilier les générations, créer une autre forme de famille. Thome apaise les conflits et condense dans la lumière d'un lac miraculeusement zen les courants rêvés et métaphysiques, les vagues du passé encerclant les identités flottantes. Finalement, le couple d'Adam et Eve se retrouve spontanément pour faire un enfant; le conte d'identité de Thome ouvre un nouveau tome...
Tuvalu de Veit Helmer, 32 ans, pousse ce rêve à bout. Tourné en Roumanie, ce film presque muet ne se veut pas allemand mais universel. Audacieux, mais trop riche en effets visuels, ce premier film flirte avec un comique absurde. Tout, ici, découle de l'eau mais le schéma psy décolle rarement vers la poésie. Dans le ventre d'une vieille piscine qu'il n'a jamais quitté, Anton (Denis Lavant) rêve de partir en mer. Pour conquérir la jeune Eva (Chulpan Khamatova) il élimine son père et, comme Buster Keaton, doit libérer sa libidineuse machine à vapeur. Les amoureux vont s'embarquer pour l'île de Tuvalu. Par son évasion, Helmer échappe au réel et offre une nouvelle vie à son héros.
Glisser sur une route enneigée, faire un enfant, partir dans un coucher de soleil - ainsi se terminent les trois contes de fées allemands. Les cinéastes de la génération Fassbinder essaient d'assembler des mémoires contradictoires; le jeune Helmer s'invente une virginité. A la recherche d'une identité, ils font du romantisme un levier vers l'utopie.



Rudolf Thome, le réalisateur de «Paradiso»:
«Mes films sont des utopies»

Brigitte Baudin
Le Figaro
22.11.2000
Formé à la littérature et à la philosophie, passé par la critique, Rudolf Thome, a tourné ses premiers courts métrages avant même que Wenders, Fassbinder ou Schlöndorff ne lancent le «Nouveau cinéma allemand». Aujourd'hui à la marge du système, Thome autoproduit ses films aux petits budgets. Parmi ses vingt-cinq films, sont sortis en France Tarot, le Philosophe ou Coup de foudre. Rencontre avec ce bon vivant, à Vienne.
Ce film est-il un bilan personnel?
Les Cahiers du Cinéma distinguaient autrefois les simples films des «derniers» films. Impressionné, j'ai commencé, à partir du Philosophe (1988) à faire des derniers films. Tourner m'épuise mais mourir pendant le tournage n'est pas le pire (rires). Une chose est sûre: en vieillissant, on pense constamment à la mort.
Contrairement à ceux d'autres réalisateurs de votre génération, vos films sont ironiques, ouverts aux plaisirs de la vie. Le «Weltschmerz» (mélancolie) ne vous atteint pas?
C'est un paradoxe. Les Allemands n'aiment pas énormément mes films «atypiques» mais les Français les trouvent très allemands. Généralement le public méditerranéen les accueille plus chaleureusement. Gottfried Benn disait du Méditerranéen que sa profondeur est à l'extérieur. Pour lui l'essence véritable ne se cachait pas derrière la forme. Goethe et Schiller ont distingué la forme du contenu et transmis cette idée à d'autres poètes et philosophes. Aujourd'hui cet esprit protestant - que l'éternel, le vrai et l'important se trouvent toujours derrière les choses - s'est malheureusement répandu partout en Allemagne. Moi, je m'en tiens à ce qu'on voit; il n'y a rien «derrière»! D'où cette impression de légèreté peut-être. Wenders a écrit à l'époque que mon film Red Sun (1969) «ne montre pendant 90 minutes rien que la surface». Je reste fidèle à cette idée.
Vos films ressemblent à des contes de fées au quotidien. Quel rapport avez-vous avec le réel?
Tous mes films sont des utopies. Je suis un peu superstitieux mais j'essaie d'intégrer le hasard, de le rendre possible. Je n'ai pas de «visions». Au tournage, l'écart entre mes prétentions et les résultats ne me tracasse pas. Dès lors, je suis un homme heureux.
Comment vous situez-vous dans le cinéma allemand?
En dehors. J'ai une vieille amitié avec Jean-Marie Straub. Longtemps, j'étais proche de Wim Wenders et j'ai beaucoup aimé Au fil du temps mais pas ses derniers films. Sinon, Cours Lola de Tom Tykwer était étonnant mais pas assez A bout de souffle... (rires) Cette année, l'Insaisissable d'Oskar Roehler m'a très surpris et touché. J'ai apprécié la précision de sa narration et sa connaissance du cinéma. Souvent les cinéastes allemands racontent des histoires approximativement. La position de leur caméra est fréquemment arbitraire.
Continuez-vous à tourner malgré vos difficultés?
Je suis un joueur de poker et je jongle avec des petits budgets. Réaliser des films est comme une drogue. Quand on n'en a pas, on souffre. Quand je ne tournais pas, le fait de sentir l'odeur de la pellicule au laboratoire me rendait dingue.
Recueilli par M.R

Rudolphe Thome peint avec finesse, drôlerie et beaucoup d'humour cette comédie humaine pleine de personnages hauts en couleur qui est aussi une leçon de vie, d'amour et de tolérance.



Paradiso

Jacques Morice
Télérama
22.11.2000
Méditation légère... C'est ainsi qu'on pourrait caractériser le cinéma précieux de Rudolf Thome, auteur de Tarot (1985), des Formes de l'amour (1987), du Philosophe (1988). Paradiso est de la même veine. D'emblée, on s'y sent bien, reposé et flottant, comme après un bain régénérateur dans un lac étale. Ce lac près duquel habite Adam (Hanns Zischler), compositeur, 60 ans tout juste. Pour fêter l'événement, il invite dans sa grande maison les sept femmes qui ont le plus compté dans sa vie, sous l'œil complice de sa dernière compagne, et de leurs deux enfants.
Drôle de situation, qui pourrait faire craindre un genre de méli-mélo lelouchien sur les regrets, le bilan d'une vie et tutti quanti. Rassurez-vous, rien de tout cela n'arrive. C'est même une gageure : il n'y a dans ce film aucune trace de pathos ni de sentimentalisme. Tout se déroule dans une relative harmonie. Tout coule de source, avec un naturel et une transparence qui font le délice de cette utopie réalisée, sorte de jardin d'Eden contemporain - les multiples références bibliques sont d'ailleurs affichées avec une ironie savoureuse.
En voix off, le monologue intérieur d'Adam, chuchotement pénétrant. A l'image, Adam au cœur de son domaine transformé en gynécée. Les femmes défilent autour de lui, joyeuses et mutines, l'embrassent - des baisers furtifs, parfois profonds, essaimés joliment tout au long du film. Sept femmes, sept muses de tous âges, qui envoient valdinguer jalousie et rancœur pour se faire et faire plaisir à l'homme qu'elles continuent d'aimer. Sept femmes, plus un vieil ami, plus un fils d'Adam longtemps délaissé qui se réconcilie peu à peu avec lui.
L'important réside moins dans ce que les personnages se disent que dans les rituels, synonymes ici de partage, de communion innocente. Un pique-nique dans un champ, une expédition pour planter au sommet d'une colline soixante peupliers. Autant d'actions mineures mais chargées d'un sens presque sacré. Ce n'est pas un hasard si l'une des femmes est une nonne (Irm Hermann, ancienne égérie de Fassbinder). La grâce traverse ce film. Mais une grâce non solennelle, plutôt enfantine.
Néo-baba-coolisme communautaire ? Ou, à l'inverse, néo-donjuanisme pépère ? A n'en pas douter, Thome s'amuse avec les interprétations possibles, à l'heure de la " famille recomposée ". Plus simplement, il réalise ce que tout un chacun rêve d'accomplir : réunir un jour tous les gens qu'on aime pour passer ensemble un moment hors du temps. Savoir que le cinéaste l'a fait avec des actrices ayant joué dans ses films précédents n'en est que plus touchant. Adam peut bien apparaître comme un double de Rudolf Thome. Son autobiographie, si déguisée soit-elle, communique en tout cas une forme rare de sagesse et de sérénité. Tout près de cette ataraxie tant convoitée par les philosophes de jadis .
Jacques Morice
Allemand (1h42). Réalisation et scénario : Rudolf Thome. Images : Reinhold Vorschneider. Montage : Karin Nowarra. Musique : Wolfgang Böhmer. Avec : Hanns Zischler (Adam Bergschmidt), Cora Frost (Eva Wüstenberg), Adriana Altaras (Lulu), Irm Hermann (Berenice). Prod. : Moana-Film. Distr. : Connaissance du cinéma.




Paradiso (sept jours avec sept femmes), de Rudolf Thome

Vincent Ostria
L'Humanité
22.11. 2000
Sam suffit. Le meilleur des trois films allemands de la semaine. Un compositeur invite ses ex-femmes et maîtresses à venir fêter ses soixante ans à la campagne. Comme il s'appelle Adam et que son épouse en titre se nomme Eva, il va de soi qu'il s'agit d'une fable se référant à la Genèse, mais sans connotation de culpabilité judéo-chrétienne. Paradiso est l'anti-Festen. Car, contre toute attente, la confrontation entre rivales, malgré quelques anicroches, ne tournera pas au vinaigre. Et tout compte fait, ce patriarche soixante-huitard reconnaîtra avec sagesse que son existence amorale est bien proche du paradis. Ce cinéaste méconnu interrompt son cycle des utopies brisées avec cette autobiographie empreinte d'une belle sérénité, mais qui manque un tout petit peu de relief.



PARADISO

Bertrand Loutte
Les Inrockuptiples
21. 11. 2000
Une maison, jouxtant un lac étale, une lumière caressante, un couple baignant dans le calme et l’harmonie. Perspective d’une réunion : celle d’Adam (Hanns Zischler) et des sept femmes de sa vie, conviées pour célébrer son soixantième anniversaire. Paradiso n’étreint qu’un seul sujet, éminemment casse-gueule, le bonheur. Une idée qui s’abîme le plus souvent dans l’obscène quand, pour s’en emparer, cinéastes ou écrivains fourbissent comme seules armes complaisance, ostentation et bons sentiments. Comment, pour Thome, filmer cette utopie ? De loin essentiellement, avec pudeur et simplicité, privilégiant plans d’ensemble sur une famille élargie (nucléaire, nein danke) ou autour d’actions minimales à l’hédonisme feutré, plutôt que de se soumettre à la tyrannie de l’événementiel ou des affects individuels. Et surtout sans être dupe, ni tenter de nous faire croire à la possible universalité de cet eden arraché au monde comme il va mal. Car le Paradiso d’Adam n’est rien d’autre qu’une enclave, une île des amours à la dérive des continents, une salutaire aberration soumise à la suspension du temps, sept jours nés de l’éclipse du 11 août mais au sortir desquels ne sera créé aucun monde nouveau. L’égrenage des références bibliques, trop évidentes pour être prises à la lettre, ne confère à aucun mysticisme mais agissent comme les vecteurs de la maligne ironie de Thome, définitivement non confit dans l’optimisme béat. Il y a fort à craindre que Paradiso, exception allemande, ne soit qu’une parenthèse enchantée au sein d’une cinématographie déliquescente. Raison de plus pour joyeusement s’y engouffrer.




Les sept femmes d'Adam
Avec Hanns Zischler, Cora Frost, Irm Herman.

Annie Coppermann
Les Échos
22. 11. 2000
Un compositeur réunit pour ses soixante ans les 7 femmes qui ont compté dans sa vie. Sept jours idylliques. Pour rêver... PARADISO de Rudolf Thome Pour ses soixante ans, Adam, un compositeur contemporain, décide de réunir toutes ses Eve. Ses deux premières femmes, Bérénice, qui lui a donné un fils, Billy, et après leur séparation est entrée dans les ordres; Lulu, toujours actrice; et les quatre maîtresses qui ont compté dans sa vie ensuite, Lilith, Marion, étudiante en littérature, Jacqueline et Lucia, chanteuse d'opéra, sont invitées dans sa grande maison de campagne près d'un lac, dans le Mecklembourg, où il les accueille auprès d'Eva, sa troisième épouse, dont il a deux jeunes enfants. Une belle idée germée dans l'esprit d'un réalisateur allemand sexagénaire qui, en l'occurrence, à convoqué, lui, toutes ses interprètes... Pendant sept jours, un par femme, la petite bande, à laquelle se joint, en grommelant d'abord, le fils Billy, qui n'avait pas vu son père depuis quelque trente ans et ne lui avait jamais pardonné son départ, lui-même accompagné de sa famille. Nous sommes à la fin du siècle, notre siècle, la semaine de la grande éclipse du Soleil. Entre gens de bonne compagnie aussi. Derniers préparatifs, réveil un peu crispé, inspection du jardin, édénique, où Adam arrose méticuleusement son potager, dans un décor de rêve, arrivée des premier(e)s invité(e)s, déballage des cadeaux, chacun reflétant la personnalité de celle qui l'offre, découvertes mutuelles, rires de celles qui, depuis, ont pardonné, attendrissements de celles, les plus âgées, qui regrettent toujours, retrouvailles difficile avec le fils, écologiste et disciple de Joschka Fisher, repas joyeux, pique-nique, concert où Adam fait entendre sa dernière création, balade à la fête foraine, excursion dans la campagne idyllique... Plein de grâce Contrairement à tout ce que l'on aurait pu craindre de ce genre de sujet, qui pouvait pousser soit au vaudeville, soit au mélodrame, Rudolf Thome, l'un des cinéastes allemands les plus importants d'aujourd'hui (on a vu, de lui, notamment, « Tarot », « Les Formes de l'amour », « Le Philosophe »), a fait de ce « Paradiso », certes un peu lent, un peu explicite, une sorte d'utopie pleine de grâce. On se prend à rêver à une telle fête, où toutes les blessures de la vie s'évaporeraient, dans une convivialité souriante, pour mieux conjurer la fuite du temps et l'inéluctable chapelet de regrets qui l'accompagne. Et la chute en est belle qui, loin de chasser Adam du paradis, lui donne un nouveau rebond, avec la mise en route d'un troisième enfant, gage de jeunesse éternelle, ou presque... Gageons que les messieurs rêveront d'être cet Adam-là, qu'incarne avec séduction Hanns Zischler!



Paradiso

Julien Walter
Repérages
1. 11. 2000
La soixantaine bien assurée, Adam Bergschmidt est un compositeur de musique à qui la vie a beaucoup donné puisqu'il ne lui a jamais rien demandé avec insistance. (Bien) marié et entouré d'une progéniture exemplaire, le voilà qui décide de réunir les compagnes qui ont le plus compté dans une vie que l'on imagine par ailleurs fournie en relations féminines. De la première épouse, devenue nonne, à sa compagne d'il y a une dizaine d'années qui n'a pas encore fait le deuil de son viril musicien, l'assemblée se constitue dans une rivalité polie envers la dernière épouse en date. Passé et présent essaient de se coaguler en une famille de personnes, au cours d'un week-end à la campagne qui peut rappeler l'univers bourgeois et feutré d'un Claude Sautet, dans une version toutefois un peu plus stimulante intellectuellement et conséquemment plus sèche (les duels verbeux sont tout de même d'une autre trempe que les pleurnicheries de l'auteur d'Un Cour en hiver). Que l'on se rassure, Rudolf Thome, réalisateur allemand qui construit une ouvre en toute indépendance, est loin de plagier avec "Paradiso" les bilieux règlements de comptes familiaux typiques des premiers films du dogme 95 ("Festen" ou "Mifune"). Comme Oliveira au Portugal, il a un style à lui et le peau fine sans tenir compte des modes, jusqu'à aboutir à ce nouveau film qui sonne comme une épure. C'est lumineux, tout en sachant rester singulier .